Microbiote et TND : quand l'intestin parle au cerveau, par Eugénie Émorine
Ballonnements, douleurs abdominales, constipation, diarrhées, reflux… mais aussi anxiété, agitation, troubles du sommeil ou difficultés d’attention...
Chez de nombreux enfants présentant un trouble du neurodéveloppement (TSA, TDAH, troubles DYS…), les difficultés digestives et comportementales paraissent souvent étroitement liées.
Longtemps considérés comme secondaires, les troubles digestifs sont aujourd’hui reconnus comme une pièce centrale du puzzle neurodéveloppemental.
La recherche s’accorde désormais sur un point essentiel : l’intestin et le cerveau dialoguent en permanence, et au cœur de ce dialogue se trouve un acteur clé : le microbiote intestinal.
Composé de milliards de bactéries et de micro-organismes qui colonisent notre intestin, le microbiote forme un véritable écosystème. On sait aujourd’hui qu’il est capable d’influencer le fonctionnement global de l’organisme, y compris le cerveau.
Microbiote : un organe à part entière
Le microbiote intestinal est composé de milliards de bactéries, virus et champignons qui vivent en symbiose avec nous.
Il est aujourd’hui considéré comme un organe fonctionnel à part entière, tant son rôle est central.
Il participe notamment à :
- la digestion et l’absorption des nutriments,
- la fabrication de certaines vitamines,
- la régulation du système immunitaire, y compris au niveau cérébral,
- la production de nombreuses molécules capables d’influencer le cerveau, dont certains neurotransmetteurs.
Chaque microbiote est unique, comme une empreinte digitale.
Il n’existe pas un microbiote idéal, mais une multitude d’équilibres fonctionnels, propres à chaque individu.
En revanche, dans le cadre de certaines pathologies ou de certains troubles — comme les troubles du spectre de l’autisme — les recherches suggèrent qu’il pourrait exister des profils de microbiote plus fréquents, parfois qualifiés de « signatures ».
Certaines compositions microbiennes seraient ainsi plus souvent retrouvées chez les personnes autistes, ce qui pourrait, à l’avenir, contribuer à une meilleure compréhension — voire à une aide au diagnostic — de ces troubles.
L’axe intestin–cerveau : une autoroute à double sens
La communication entre l’intestin et le cerveau ne repose pas sur un seul mécanisme, mais sur plusieurs voies qui fonctionnent simultanément, un peu comme un réseau de routes reliant deux grandes villes.
Le nerf vague : la ligne téléphonique directe
Le nerf vague est un long nerf qui relie directement l’intestin au cerveau. Il transmet en permanence des informations sur l’état du système digestif : digestion en cours, inflammation, douleur, confort ou inconfort intestinal.
On peut le comparer à une ligne téléphonique interne, toujours ouverte, qui informe le cerveau de ce qui se passe dans le ventre.
Lorsque l’intestin est irrité ou que le microbiote est déséquilibré, le cerveau en est rapidement informé.
Le système immunitaire : le messager de l’état intérieur
L’intestin abrite une grande partie de notre système immunitaire.
Lorsque la muqueuse intestinale est fragilisée ou que le microbiote est déséquilibré, le système immunitaire peut s’activer de façon excessive et produire des molécules inflammatoires.
Ces signaux inflammatoires circulent dans tout l’organisme et atteignent le cerveau, où ils peuvent influencer plusieurs fonctions essentielles au développement de l’enfant, notamment :
- l’humeur,
- la vigilance,
- la régulation émotionnelle,
- la régulation sensorielle,
- le sommeil.
Les molécules produites par le microbiote
Les bactéries intestinales ne se contentent pas de digérer les aliments.
Elles fabriquent aussi de nombreuses substances actives : acides gras à chaîne courte, messagers chimiques, précurseurs de neurotransmetteurs.
Ces molécules peuvent agir localement dans l’intestin, mais aussi passer dans la circulation sanguine et influencer directement le fonctionnement cérébral.
Microbiote et troubles du neurodéveloppement :
des liens qui se confirment
À partir de ces mécanismes de communication entre l’intestin et le cerveau, les chercheurs se sont intéressés à ce qui se passe chez les enfants présentant des troubles du neurodéveloppement, comme l’autisme, le TDAH ou les troubles DYS.
Ce qui ressort d’abord, ce sont des constats très concrets, souvent partagés par les familles : chez beaucoup d’enfants, les troubles digestifs ne sont pas ponctuels. Ils s’installent dans le temps et semblent parfois évoluer en parallèle d’autres difficultés, comme une plus grande fatigue, une agitation accrue, des troubles du sommeil ou une sensibilité émotionnelle plus marquée.
Les études montrent que, chez une partie de ces enfants, le microbiote intestinal présente un équilibre plus fragile.
- Il peut être moins diversifié ou moins stable, ce qui le rend plus sensible aux changements alimentaires, au stress, aux infections ou à certains traitements
- Il peut présenter une répartition différente de certaines familles de bactéries, c’est-à-dire que certaines bactéries habituellement impliquées dans la protection de l’intestin et la régulation de l’inflammation sont moins présentes, tandis que d’autres, plus irritantes ou pro-inflammatoires, peuvent prendre davantage de place.
- Lorsque le microbiote est plus déséquilibré, les troubles digestifs ont tendance à être plus importants, et cela s’accompagne souvent de difficultés émotionnelles ou comportementales plus marquées.
Il est toutefois essentiel de rester nuancé : le microbiote ne peut sans doute pas, à lui seul, expliquer l’apparition d’un trouble du neurodéveloppement.
En revanche, les données actuelles montrent qu’un microbiote déséquilibré peut influencer certains mécanismes biologiques impliqués dans le fonctionnement cérébral et, chez certains enfants, accentuer des difficultés déjà présentes ou en moduler l’expression.
Des expériences chez l’animal suggèrent néanmoins qu’un microbiote particulier peut induire certains comportements atypiques.
Des pistes encore exploratoires : le transfert de microbiote fécal
Parmi les pistes étudiées aujourd’hui, certaines recherches se sont intéressées à des techniques plus poussées visant à modifier profondément le microbiote intestinal.
L’une d’elles est le transfert de microbiote fécal (TMF), parfois appelé greffe de microbiote.
Le principe est simple à comprendre : il s’agit de transférer le microbiote intestinal d’un donneur sain vers une personne dont le microbiote est très déséquilibré, afin de restaurer un écosystème plus fonctionnel.
Dans le cadre de l’autisme, quelques études pilotes ont montré des résultats intéressants : chez certains enfants, le transfert de microbiote a permis une amélioration durable des troubles digestifs (moins de constipation, de diarrhées, de douleurs abdominales), et, chez une partie d’entre eux, une amélioration progressive de certains comportements ou de la régulation émotionnelle.
Ces résultats suggèrent que le microbiote peut influencer le fonctionnement global de l’organisme et du cerveau.
Cependant, il est essentiel d’être très clair : ces données sont préliminaires, issues d’un petit nombre d’études, menées dans des conditions très encadrées. Le transfert de microbiote n’est pour le moment pas un traitement de l’autisme, et il ne fait pas partie des pratiques courantes.
En revanche, ces travaux sont jugés prometteurs, car ils confirment que l’intestin joue un rôle actif dans certains équilibres biologiques, et que soutenir le microbiote peut avoir des effets au-delà du seul confort digestif
Ce qui peut être fait à la maison
Sans recourir à des techniques expérimentales, il existe déjà de nombreuses actions concrètes que les familles peuvent mettre en place pour soutenir l’équilibre intestinal de leur enfant.
1 - Ne pas banaliser la constipation ou les diarrhées
Un point fondamental est de ne jamais laisser s’installer durablement une constipation ou des diarrhées, même si elles sont « habituelles » chez l’enfant avec autisme.
Un transit perturbé entretient l’inconfort digestif, l’inflammation, une mauvaise qualité du microbiote, et peut influencer l’humeur, le sommeil et l’attention.
Des solutions existent : ajustements alimentaires, hydratation, accompagnement nutritionnel, micronutritionnel et médical, parfois aides temporaires pour relancer le transit. Parlez-en à un professionnel.
2 - Mettre en place une alimentation qui nourrit aussi le microbiote
Le microbiote intestinal se nourrit directement de ce que mange l’enfant. C’est pourquoi l’alimentation constitue l’un des leviers les plus accessibles pour soutenir son équilibre, à condition d’avancer avec progressivité et de tenir compte des tolérances digestives et sensorielles.
- Les fibres jouent un rôle central, car elles servent de nourriture aux bactéries bénéfiques. Chez les enfants sensibles, elles sont souvent mieux tolérées lorsqu’elles proviennent de légumes bien cuits, en particulier les légumes racines comme la carotte, le navet, le panais ou la betterave, mais aussi de légumes verts doux tels que la courgette ou le poireau. Les fruits sont également intéressants lorsqu’ils sont consommés entiers et non sous forme de jus, idéalement avec la peau lorsqu’ils sont bio et bien tolérés. Les légumineuses, souvent redoutées, peuvent être bénéfiques pour le microbiote à condition d’être correctement préparées : un trempage prolongé, une cuisson longue et des formes faciles à digérer comme les purées ou les galettes permettent d’en améliorer la tolérance. Les céréales complètes et les pseudo-céréales, comme le quinoa ou le sarrasin, complètent ces apports en fibres variées.). Parmi ces fibres, certaines sont particulièrement intéressantes pour le microbiote : les amidons dits « résistants ». Ils se forment lorsque certains féculents sont cuits puis refroidis. Dans ce cas, l’amidon n’est plus totalement digéré et arrive intact dans le côlon, où il nourrit directement certaines bactéries protectrices. Concrètement, un plat de riz, de pommes de terre ou de légumineuses préparé la veille et consommé froid ou légèrement réchauffé peut être plus bénéfique pour le microbiote qu’un plat consommé immédiatement après cuisson. Ces amidons résistants peuvent aider à réguler le transit et à apaiser l’intestin, à condition d’être introduits progressivement.
- Les polyphénols constituent un autre soutien important. Ces substances, naturellement présentes dans les végétaux colorés, favorisent un environnement intestinal plus favorable. On les retrouvent en abondance dans les fruits rouges, les légumes colorés, le cacao de bonne qualité, le thé ou le rooïbos, ainsi que dans de nombreuses herbes aromatiques (persil, coriandre, basilic…) et aromates (ail, oignon), épices et légumes verts. Même en petites quantités régulières, ils participent à la diversité microbienne. Le régime méditerranéen en est particulièrement riche !
- Les aliments fermentés, introduits très progressivement : yaourts, kéfir, kombucha, choucroute crue ou cuite, légumes lactofermentés, miso. Ils apportent des micro-organismes vivants et peuvent aider à enrichir le microbiote, à condition de respecter la tolérance individuelle.
L’enjeu n’est pas d’avoir une alimentation « parfaite », mais de proposer chaque jour un petit peu d’aliments qui nourrissent le microbiote et qui soient adaptés à la tolérance digestive l’enfant. Même de petits ajustements, répétés dans le temps, peuvent contribuer à soutenir le microbiote et, avec lui, le confort digestif et le bien-être global.
Identifier d’éventuelles allergies ou intolérances alimentaires
Chez certains enfants, certains aliments peuvent entretenir des troubles digestifs ou inflammatoires.
Il peut être pertinent, avec un professionnel, d’explorer la possibilité : d’une allergie alimentaire, ou d’une intolérance (au lactose, à l’histamine, aux salycates, à certains sucres fermentescibles, par exemple) ou d’une hypersensibilité (cœliaque ou non cœliaque) au gluten.
Ces démarches doivent toujours être encadrées, afin d’éviter des exclusions inutiles ou trop restrictives. L’objectif est ici de comprendre ce qui surcharge l’intestin de cet enfant précis, et de lui proposer une alimentation évolutive, adaptée à ses spécificités et tolérances.
Explorer d’autres déséquilibres digestifs possibles
Chez certains enfants, les troubles digestifs persistants peuvent être liés à des déséquilibres plus spécifiques du microbiote, regroupés sous le terme de dysbiose. Cela signifie que les bactéries ne sont pas réparties au bon endroit ou en quantité adaptée. Dans certains cas, on parle par exemple de SIBO (prolifération bactérienne excessive dans l’intestin grêle), une situation où des bactéries censées rester dans le côlon se développent trop haut dans le tube digestif, entraînant ballonnements, douleurs, diarrhées ou constipation. D’autres enfants peuvent présenter une hyperperméabilité intestinale, c’est-à-dire une barrière intestinale moins efficace, laissant passer certaines substances qui entretiennent l’inflammation et l’inconfort.
Ces situations ne sont ni rares ni graves en soi, mais elles nécessitent une prise en charge adaptée et individualisée. Lorsqu’un inconfort digestif persiste malgré des ajustements alimentaires simples, un professionnel formé peut aider à identifier ces déséquilibres et proposer des solutions progressives et ciblées.
Conclusion
Le microbiote intestinal n’explique pas à lui seul les troubles du neurodéveloppement, mais il constitue un levier important pour mieux comprendre le lien entre le corps et le cerveau. Soutenir l’équilibre digestif peut aider à améliorer le confort, le bien-être et la régulation émotionnelle de certains enfants, sans jamais remplacer les autres formes d’accompagnement. Une approche progressive, individualisée et respectueuse du rythme de l’enfant reste la clé.
Vous trouverez d’autres idées et recettes sur le groupe facebook @meexmiam ou sur le site internet : www.cognitiv.care
La recette
Yaourt probiotique sans lactose (maison)
Cette recette de yaourt maison permet de préparer un yaourt riche en probiotiques, adapté aux enfants sensibles au lactose. Elle peut soutenir l’équilibre du microbiote lorsqu’elle est introduite progressivement
MATÉRIEL NÉCESSAIRE
- Yaourtière (8 pots, température réglable, durée longue possible > 30 h)
- Casserole
- Fouet
- Thermomètre de cuisine
- Pots en verre propres
- Mortier (ou dos d’une cuillère) pour écraser gélules ou comprimés
Choix du lait : un lait animal aux protéines « A2 »
(brebis, chèvre ou vache jersiaise bio)
- 1 litre de lait entier
- 1 à 2 cuillères à soupe bombées de fibres prébiotiques (inuline d’agave bio)
- 5 à 10 gélules ou comprimés de ferments probiotiques adaptés aux enfants (pharmacie)
- Optionnel : un peu de crème de brebis ou de chèvre pour une texture plus épaisse
Étape 1 – Préparer la base
- Faire bouillir le lait pendant 10 minutes, puis laisser refroidir jusqu’à 37 °C.
- Écraser les comprimés ou ouvrir les gélules de probiotiques.
- Prélever 250 ml de lait tiédi, ajouter les probiotiques, et l’inuline.
- Fouetter doucement (ne pas mixer).
- Ajouter le reste du lait jusqu’à 1 l et mélanger délicatement.
Étape 2 – Mise en pots
- Verser la préparation dans les pots en verre propres.
- Ne pas fermer les pots avant la fin de l’incubation.
INCUBATION
Lait animal A2 : 37 °C pendant 12 à 36 heures - Plus le temps de fermentation est long, plus les probiotiques se développent , et moins il y aura de lactose. En revanche, les yaourts deviennent aussi un peu plus acides .N’hésitez pas à faire des tests de goût avec votre enfant !
Ne pas ouvrir ni remuer pendant toute la fermentation.
CONSERVATION
Laisser refroidir à température ambiante, puis fermer les pots.
Placer au réfrigérateur au moins 6 heures avant consommation.
À consommer dans les 7 à 8 jours.
POUR LES FOURNÉES SUIVANTES
Prélever 2 cuillères à soupe du yaourt précédent pour ensemencer une nouvelle préparation.
Ne pas réutiliser le ferment plus de 1 à 2 fois consécutives.
Ensuite, repartir avec des probiotiques neufs.
UTILISATION ET INTRODUCTION
1 yaourt par jour pendant 1 à 2 mois
Commencer par 1 cuillère à soupe, à jeun ou 30 minutes avant un repas
Augmenter très progressivement selon la tolérance
À consommer nature ou avec un peu de cannelle, de fruits rouges, de purée de noisettes ou amande, de compote de fruits sans sucres ajoutés ou de cacao cru non sucré, éventuellement une petite pointe de miel.
Pour les enfants intolérants aux protéines laitières, il existe une version de ces yaourts avec une base de lait de coco, que vous trouverez sur le site : www.cognitiv.care