Autisme : comment l'alimentation peut-elle soutenir le cerveau ? par Eugénie Emorine
On évoque souvent l’alimentation des enfants avec autisme sous l’angle de la sélectivité alimentaire : refus de certaines textures, couleurs ou goûts. Ces particularités, que l’on retrouve aussi dans le TDAH et d’autres troubles du neurodéveloppement (TND), font partie du quotidien de nombreuses familles.
Mais la recherche explore aujourd’hui un autre aspect de la nutrition : l’impact des aliments et des nutriments sur le cerveau. Humeur, langage, attention, apprentissage, sommeil : le contenu de l’assiette de l’enfant peut influencer directement son fonctionnement cognitif et émotionnel.
Ce premier article inaugure une série de chroniques mensuelles consacrées à ce thème. Au fil des mois, vous aurez des clés concrètes pour gérer le quotidien.
Le cerveau, gourmand en nutriments
Bien qu’il ne représente que 2 % du poids du corps chez l’adulte, le cerveau consomme près de 20 % de l’énergie quotidienne. Chez l’enfant, il est encore plus énergivore : vers 4-5 ans, il mobilise près de 40 % de l’énergie totale de l’organisme.
Pour un cerveau en développement, ce « coût énergétique » très élevé nécessite un apport régulier et suffisant en nutriments.
Le cerveau n’est pas un organe isolé du reste du corps : il est en connexion permanente avec l’intestin, le système immunitaire, le foie et toutes les cellules et organes du corps. Ses performances dépendent autant de ce qui se passe à l’extérieur de la boîte crânienne que de l’activité de ses neurones. C’est pourquoi l’alimentation, qui nourrit et influence tous ces systèmes à la fois, est un levier fondamental pour accompagner les enfants avec autisme et les TND.
La nutrition agit sans relâche sur le cerveau, jour et nuit, à travers plusieurs mécanismes étroitement liés.
Dans cet article, nous allons explorer les principales voies qui relient l’assiette à l’encéphale.
Des nutriments aux neurotransmetteurs
Pour commencer, il faut comprendre que le cerveau a besoin de nutriments bien précis pour fabriquer ses messagers chimiques, appelés neurotransmetteurs. Ces molécules permettent aux neurones de communiquer entre eux. Comme une véritable « symphonie chimique », ces neurotransmetteurs s’alternent, se complètent et s’équilibrent dans un rythme précis pour réguler nos émotions, notre attention, notre sommeil ou encore notre motivation.
Chacun d’entre eux a besoin, pour être synthétisé, d’éléments spécifiques issus de l’alimentation : acides aminés, vitamines, minéraux ou autres cofacteurs.
Par exemple :
• La dopamine, clé de l’attention et de la motivation, dépend d’un acide aminé (la tyrosine) présent dans les protéines, avec l’aide du fer, du zinc et de la vitamine B6.
• La sérotonine, qui régule l’humeur et le sommeil, nécessite un autre acide aminé, le tryptophane, associé à plusieurs cofacteurs nutritionnels.
Même de légers déficits en ces nutriments peuvent influencer l’attention, les apprentissages et la régulation émotionnelle.
Chez les enfants avec autisme, les carences sont fréquentes, aussi bien en macronutriments (protéines, fibres, lipides…) qu’en micronutriments (vitamines, minéraux, antioxydants…). Elles s’expliquent à la fois par la sélectivité alimentaire, les déséquilibres du microbiote qui freinent l’absorption, l’inflammation chronique qui accroît les besoins et limite l’utilisation des nutriments, mais aussi par certaines conditions génétiques qui accompagnent souvent l’autisme.
Un exemple particulièrement parlant est celui de la vitamine B9 (folates) : près de 70 % des enfants autistes présenteraient un déficit cérébral en B9, en partie dû à l’alimentation mais aussi à des mécanismes immunitaires et inflammatoires. De ce fait, une supplémentation présente tout son intérêt, mais pas sous n’importe quelle forme : encore faut-il que l’enfant puisse l’utiliser. En effet, certains mécanismes inflammatoires peuvent empêcher le passage correct des folates vers le cerveau. Mais il existe aussi certaines variantes génétiques fréquentes dans l’autisme comme celles touchant le gène MTHFR, qui réduisent la capacité d’utilisation de cette vitamine B9 par l’organisme, alors même qu’elle est indispensable à la fabrication des neurotransmetteurs. Seules les formes méthylées de la vitamine seront alors utilisées par les cellules dans ce contexte. Une supplémentation ciblée, personnalisée et sous conseil professionnel peut être un soutien précieux dans ces situations.[1][2]
L’intestin et le microbiote
Une autre voie de communication, dont on entend beaucoup parler en ce moment, constitue une véritable révolution dans le domaine de la santé — comparable à la découverte des gènes et de l’ADN. Elle repose sur la mise en évidence du rôle du microbiote intestinal. Cet ensemble complexe de bactéries et de micro organismes est aujourd’hui considéré comme un véritable organe, capable d’interagir avec l’ensemble du corps et en particulier avec le cerveau. Cette voie, que l’on pourrait même qualifier d’« autoroute à quatre voies », est connu sous le nom d’axe intestin-cerveau (Gut-Brain axis).
L’intestin n’assure pas seulement la digestion : il communique en permanence avec le cerveau, via le nerf vague, mais aussi grâce à certaines hormones ou molécules produites par le système immunitaire, ou par les neurones du système digestif, très nombreux.
Le microbiote intestinal, ce véritable écosystème de milliards de bactéries et micro organismes, fabrique aussi des substances qui influencent l’humeur, l’anxiété, le sommeil ou les fonctions cognitives.
Chez de nombreux enfants avec autisme, on observe un déséquilibre du microbiote, associé à des troubles digestifs et à une plus grande fragilité émotionnelle.
Les études montrent que leur microbiote diffère de celui des enfants non autistes : certaines bactéries sont diminuées (comme Bifidobacterium ou Prevotella) , tandis que d’autres sont augmentées (comme Lactobacillus ou Clostridium). Ces altérations semblent directement liées à l’intensité des symptômes digestifs et comportementaux.[3]
Une alimentation riche en fibres, en oméga-3, en aliments fermentés comme les yaourts ou la choucroute, le kéfir et le kimchi, et surtout pauvre en aliments ultra-transformés (comme les plats préparés, sodas ou biscuits industriels), et parfois complétée par des probiotiques ou prébiotiques, peut contribuer à restaurer cet équilibre et à soutenir le fonctionnement cérébral.
Soutenir la production d’énergie par les cellules et réduire le stress oxydatif
Chaque cellule du cerveau produit son énergie grâce aux mitochondries, véritables petites « centrales énergétiques » cellulaires. Chez certains enfants avec autisme, ces « centrales électriques » fonctionnent souvent moins bien [4].
Cela a pour conséquences :
• d’une part, une production insuffisante d’énergie pour assurer le fonctionnement optimal du cerveau ;
• d’autre part, ces petits moteurs cellulaires, lorsqu’ils fonctionnent au ralenti, produisent — comme un moteur mal réglé — un excès de « gaz d’échappement » appelés radicaux libres. Leur accumulation provoque un stress oxydatif, c’est-à-dire une surcharge de déchets chimiques qui agressent et fragilisent les cellules.
Ce déséquilibre peut induire de la fatigue, des difficultés cognitives, des troubles digestifs, des crises d’épilepsie ou encore des régressions dans le comportement ou les aptitudes.
Encore une fois, dans ces situations, l’alimentation peut jouer un rôle clé pour soutenir les mitochondries. Deux leviers sont particulièrement importants :
• Apporter une alimentation riche en antioxydants (vitamines C et E, polyphénols, etc.) qui protègent les cellules et les mitochondries.
• Fournir des nutriments jouant le rôle de cofacteurs (comme la carnitine, la coenzyme Q10, les vitamines du groupe B ou le magnésium, que l’on peut trouver dans les aliments et les compléments alimentaires) indispensables pour activer les réactions qui produisent de l’énergie.
En réduisant le stress oxydatif et en soutenant les mitochondries, on favorise non seulement l’énergie disponible pour le cerveau, mais aussi un meilleur équilibre immunitaire et une diminution de l’inflammation.
L’immunité, l’inflammation et l’histamine
Le système immunitaire, ce grand défenseur de l’organisme, est très bien représenté dans le cerveau. Un emballement continu des défenses immunitaires entraîne une inflammation chronique, qui, même légère, peut modifier le fonctionnement cérébral et influencer le comportement, l’humeur ou l’attention. Plusieurs études montrent que les marqueurs inflammatoires sont souvent plus élevés chez les personnes avec autisme[5] [6].
L’alimentation peut contribuer à calmer cette hyperactivité immunitaire : en réduisant les aliments pro-inflammatoires comme les sucres rapides, les additifs et les graisses transformées, et en privilégiant les oméga-3, les fruits et légumes colorés et certaines herbes et épices (curcuma, gingembre).
Un acteur important de ce système est l’histamine. Produite par certaines cellules de l’organisme (le microbiote intestinal notamment) mais aussi apportée par certains aliments (fromages affinés, charcuterie, chocolat, tomates, etc.), l'histamine intervient dans l’immunité, la digestion, le sommeil et la vigilance. Chez certains enfants autistes, une sensibilité particulière à l’histamine pourrait contribuer notamment aux hypersensorialités, aux troubles digestifs et aux variations d’humeur. Dans ce cas, des adaptations alimentaires ciblées peuvent soulager l’enfant.
Cela illustre à nouveau à quel point l’alimentation peut influencer le fonctionnement cognitif et le bien-être en général.
La nutrition comme levier d’accompagnement.
Vous avez bien compris, l’alimentation, aussi bonne soit-elle, ne « soigne » pas l’autisme et ne remplace évidemment pas les autres formes de prise en charge (médicaments, thérapies éducatives, orthophonie, psychomotricité, accompagnement scolaire, etc.). Mais les progrès de la recherche suggèrent qu’elle pourrait désormais constituer un levier complémentaire essentiel pour soutenir le développement et la qualité de vie des enfants.
En agissant sur les déficits nutritionnels, le microbiote, l’énergie cellulaire, l’immunité ou l’inflammation, l’alimentation influence le cerveau jour après jour. Elle mérite donc une place centrale dans l’accompagnement des enfants et de leurs familles.
Pour aller plus loin
Chaque mois, je partagerai dans cette chronique des exemples concrets d’applications de la nutrition à la maison, pour aider les familles à avancer pas à pas.
Pour toute question ou échange, vous pouvez contacter Eugénie Emorine à contact@cognitiv.care ou visiter le site www.cognitiv.care
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Encart recette spéciale hydratation :
Une bonne hydratation est essentielle au bon fonctionnement du cerveau, au maintien de l’attention et à la réussite des apprentissages. Pourtant, beaucoup d’enfants avec autisme sont sous-hydratés ou consomment surtout des boissons industrielles sucrées. Celles-ci sont trop riches en sucres et en additifs, avec un impact direct sur la glycémie et le microbiote intestinal.
Première étape : si votre enfant boit régulièrement des sodas ou des jus industriels, commencez à les remplacer par des boissons « maison », plus saines et tout aussi savoureuses. Voici une recette simple, déclinable à l’infini.
Boisson hydratante hibiscus-orange (1 L)
Ingrédients
• 1 ou 2 sachets de tisane de fleurs d’hibiscus
• 750 ml d’eau
• 250 ml de jus d’orange pressé maison (bio de préférence)
• 3 à 4 tranches d’orange bio (avec la peau, bien lavée)
Préparation
1. Infuser le sachet d’hibiscus dans 750 ml d’eau bouillante pendant 2 minutes, puis laisser refroidir.
2. Ajouter le jus d’orange frais et les tranches d’orange.
3. Conserver jusqu’à 3 jours au réfrigérateur, dans la partie la plus froide (en bas).
Cette boisson contient beaucoup moins de sucre qu’un soda ou un jus du commerce. L’hibiscus et l’orange apportent couleur et fraîcheur, tout en offrant des antioxydants et de la vitamine C qui soutiennent l’énergie, l’immunité et l’hydratation de l’enfant.
Astuce
• Si l’enfant est habitué aux boissons sucrées : commencer avec ¾ de jus + ¼ infusion, puis réduire chaque semaine jusqu’à atteindre ¼ de jus + ¾ infusion.
• Vous pouvez varier la recette en remplaçant l’orange par des fruits rouges, du citron, de la pomme ou même quelques feuilles de menthe pour créer d’autres versions tout aussi colorées et hydratantes
D’autres recettes sur le groupe facebook @meexmiam
[1] Leung, Brenda M Y et al. “Micronutrients for ADHD in youth (MADDY) study: comparison of results from RCT and open label extension.” European child & adolescent psychiatry vol. 33,5 (2024): 1355-1367. doi:10.1007/s00787-023-02236-2
[2] J. Adams et al. "Effect of a vitamin/mineral supplement on children and adults with autism." BMC Pediatrics, 11 (2011): 111 - 111. https://doi.org/10.1186/1471-2431-11-111.
[3] Feitong Liu et al. "Altered composition and function of intestinal microbiota in autism spectrum disorders: a systematic review." Translational Psychiatry, 9 (2019). https://doi.org/10.1038/s41398-019-0389-6.
[4] R. Frye et al. "Mitochondrial Dysfunction in Autism Spectrum Disorder: Unique Abnormalities and Targeted Treatments.." Seminars in pediatric neurology, 35 (2020): 100829 . https://doi.org/10.1016/j.spen.2020.100829.
[5] A. Erbescu et al. "Re-emerging concepts of immune dysregulation in autism spectrum disorders." Frontiers in Psychiatry, 13 (2022). https://doi.org/10.3389/fpsyt.2022.1006612.
[6] A. Nadeem et al. "Dysregulation in IL-6 receptors is associated with upregulated IL-17A related signaling in CD4+ T cells of children with autism." Progress in Neuro-Psychopharmacology and Biological Psychiatry, 97 (2020). https://doi.org/10.1016/j.pnpbp.2019.109783.
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